Haïti : un commando composé de 28 assaillants étrangers

Par 09/07/2021 - 08:02 • Mis à jour le 09/07/2021 - 18:38

Plusieurs membres du commando soupçonnés d'avoir assassiné le président haïtien Jovenel Moïse ont été arrêtés au cours des dernières 48 heures. Le point sur l'enquête.

    Haïti : un commando composé de 28 assaillants étrangers

Qui est derrière l'assassinat du président Jovenel Moïse? A qui revient légitimement d'assurer la transition au pouvoir? Voici ce que l'on sait de la situation en Haïti. 

L'assassinat

Vers 01 heures locale dans la nuit de mardi à mercredi, un commando armé attaque la résidence de Jovenel Moïse, dans la capitale Port-au-Prince. Ils se font passer pour des agents de la DEA, l'agence américaine antidrogue, selon des sources gouvernementales haïtiennes.

Dans une vidéo circulant sur les réseaux sociaux, on entend plus d'une trentaine de coups de feu. Les assaillants semblent toutefois avoir agi avec une facilité étonnante, sans annonce de blessés parmi les policiers censés garder le président, honni par une bonne partie de la population.

Son corps est criblé de douze balles, selon le juge chargé de l'affaire, cité par la presse locale. Blessée, la Première dame Martine Moïse a d'abord été soignée dans un hôpital local avant d'être évacuée par avion vers Miami. Son état est "stable", a affirmé mercredi soir le Premier ministre par intérim Claude Joseph.

Les tueurs

Selon l'ambassadeur haïtien aux Etats-Unis, Bocchit Edmond, le président a été tué dans une "attaque bien orchestrée" perpétrée par des tueurs "professionnels". "Nous pensons qu'il s'agit de mercenaires", a-t-il ajouté.

Selon Claude Joseph, les assaillants étaient "des étrangers qui parlaient l'anglais et l'espagnol".

La police haïtienne a annoncé mercredi soir avoir tué quatre membres présumés du commando. "Quatre mercenaires ont été tués, deux ont été interceptés sous notre contrôle", a déclaré Léon Charles, directeur général de la police nationale d'Haïti. "Trois policiers qui avaient été pris en otage ont été récupérés", a-t-il ajouté.

Le lendemain soir, il annonce en conférence de presse que le commando était composé de 28 assaillants (26 Colombiens et deux Américains d'origine haïtienne). Il précise que quinze Colombiens et les deux Américains ont été arrêtés, que trois Colombiens ont été tués --revoyant le bilan à la baisse-- et que huit sont en fuite.

Plusieurs suspects sont alignés contre un mur pour les montrer aux médias, des passeports colombiens et des armes étant disposés sur une table.

"Nous avons déjà en main les auteurs physiques et nous sommes à la recherche des auteurs intellectuels", c'est-à-dire le ou les commanditaires, a relevé M. Charles.

Le ministre colombien de la Défense Diego Molano précise qu'au moins six des suspects colombiens seraient "d'anciens membres de l'armée" et que la police et l'armée de son pays ont reçu instruction de coopérer à l'enquête haïtienne.

Onze suspects ont été interpellés par la police haïtienne dans le périmètre de l'ambassade de Taïwan à Port-au-Prince, où ils s'étaient cachés, a indiqué de son côté la représentation diplomatique, qui avait donné son feu vert à l'opération policière haïtienne.

Le département d'Etat américain, sans confirmer l'arrestation de ressortissants américains, indique avoir accepté d'aider l'enquête haïtienne.

Selon le quotidien Le Nouvelliste, "la police dans un véhicule utilisé par les assaillants a retrouvé 5 armes à feu, dont 2 pistolets 9 millimètres, des cartouches de calibre 5,56 millimètres, le serveur de la caméra de surveillance de chez le président Jovenel Moïse, un chéquier BNC au nom de Monsieur et Madame Jovenel Moïse, une vingtaine de sacs, des haches, des pinces coupantes, des vêtements, de la nourriture et de l’argent, 109 billets de 20 dollars us, un lot de 100 billets de 100 dollars us, un lot de 99 billets de 100 dollars us et un autre lot de 100 billets de 100 us, 100 billets de 50 dollars us, 32 billets de 100 dollars dans un gilet pare-balle, deux plaques de véhicule de location et le contrat de location de véhicule fait avec Avis le 6 juillet, beaucoup de téléphones cellulaires entre autres".

James Solages et Joseph Vincent, les deux américains d'origine haïtienne ont pu être entendus par des magistrats dès hier rapporte Le Nouvelliste. "Ils ont dit qu’ils étaient des traducteurs. La mission était d’arrêter le président Jovenel Moïse, dans le cadre de l’exécution d’un mandat d’un juge d’instruction et non de le tuer", indique encore le quotidien de Port-au-Prince en citant un magistrat.

Dans le même article publié hier soir sur le site du Nouvelliste, on apprend que Mme Magalie Habitant, grande figure du PHTK et alliée du président Jovenel Moïse, a démenti être la propriétaire d’une maison à Thomassin où il y avait des mercenaires. "Je n’ai rien à voir avec cette maison que j’ai laissé depuis trois mois. Je l’avais louée d'un avocat", explique-t-elle dans la presse.

Qui pour gouverner ?

Après l'assassinat, le Premier ministre par intérim Claude Joseph est apparu comme le responsable assurant de facto le pouvoir. Il a déclaré "l'état de siège", octroyant des pouvoirs renforcés à l'exécutif pour quinze jours. 

Problème: Jovenel Moïse avait nommé lundi Ariel Henry, un médecin, à la fonction de Premier ministre. Selon celui-ci, Claude Joseph "n'est plus Premier ministre" et a repris ses anciennes fonctions de ministre des Affaires étrangères. M. Henry appelle toutefois au dialogue et au consensus, tout en affirmant être le seul Premier ministre nommé.

Le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken a téléphoné à M. Joseph mercredi, précisant bien avoir parlé au "Premier ministre par intérim" d'Haïti.

Washington a par ailleurs appelé Haïti à maintenir les élections législatives et présidentielle prévues d'ici fin 2021.

En cas d'empêchement du président, la Constitution haïtienne prévoit que la transition au pouvoir soit assurée sous le contrôle du Parlement. Mais cette institution est inopérante depuis plus d'un an. Quant au président de la Cour de cassation, au sommet du pouvoir judiciaire, il est récemment décédé du Covid-19.

Dans le sillage de l'assassinat du chef de l'Etat haïtien, la plupart des responsables des partis politiques de l'opposition ont accusé Claude Joseph de s'être accaparé le pouvoir de façon illégitime.

La situation sécuritaire

Toutes les activités étaient jeudi au point mort dans Port-au-Prince et les villes de province. Les magasins, les banques, les stations-service et les petits commerces ont notamment gardé portes closes.

Hier, les services du premier ministre ont néanmoins invité la population à reprendre les activités économiques et rappelé que les administrations ne chôment pas durant l'état de siège et le deuil national.

 

L'aéroport de Port-au-Prince a été fermé. La République dominicaine a bouclé mercredi sa frontière de 380 kilomètres avec Haïti --les deux pays se partageant la même île-- et a renforcé la sécurité dans la zone.

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