Disparition : Emile Désormeaux, "pionnier de l'édition aux Antilles-Guyane françaises"

Par 01/06/2017 - 11:10 • Mis à jour le 18/06/2019 - 15:08

Le monde des arts, des lettres et de l’édition des Antilles et Guyane françaises en deuil. Il vient de perdre en Emile Désormeaux à la fois un « pionnier en matière d'édition aux Antilles-Guyane françaises », un "homme d'une grande intelligence éditoriale" et un "passeur-transmetteur de valeurs culturelles et patrimoniales".  

    Disparition : Emile Désormeaux, "pionnier de l'édition aux Antilles-Guyane françaises"

Originaire de Rivière-Pilote, Émile Désormeaux s’en est allé. Le lundi 29 mai 2017 à l’âge de 75 ans. Il s’est éteint à son domicile de Grand-Case au Lamentin (Martinique). Une disparition qui met en lumière tout un pan de l'histoire de l'édition en Martinique, Guadeloupe et Guyane de ces dernières décennies.

Son image de "pionnier en matière d'édition aux Antilles-Guyane françaises" n'est pas fortuite. Le professeur Jack Corzani, dont il a publié la thèse intitulée "La littérature des Antilles-Guyane françaises" en 1978, souligne que "la première véritable maison d'édition n'est apparue aux Antilles qu'en 1971" avec Emile Désormeaux.

Dans un texte écrit en 2014 à la suite de la nomination d'Émile Désormeaux au grade de Chevalier des Arts et des Lettres, le conservateur de bibliothèque Anny Désiré souligne les caractéristiques de la maison d'édition Désormeaux.

"Une véritable politique éditoriale, une infrastructure, des salariés et surtout un conseil scientifique et un comité de rédaction composé des professeurs Jack Corzani et Jacques Adélaïde-Merlande, de René Achéen, Maurice Burac et Édouard Benito-Espinal. Il a ajouté à ces chercheurs confirmés de jeunes intellectuels antillais, notamment deux futurs prix littéraires Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant".

Et son fait d'armes d'éditeur ne s'arrête pas là. Anny Désiré relève qu'en publiant une "Encyclopédie antillaise" en six volumes, Émile Désormeaux a été "le premier à avoir donné de la visibilité à des chercheurs du terroir et à de jeunes intellectuels Antillo-guyanais".

Et ce n'était pas gagné dans les années 70 face à la concurrence des grosses maisons d'édition parisiennes avec leurs antennes ouvertes dans les DOM. Et pourtant, ce tableau presque exhaustif des Antilles, à travers la littérature, la flore, la faune, la gastronomie, l'économie, la démographie et l'histoire a été un "succès".

D'aucuns se souviennent de l'acquisition par leurs parents de cette Encyclopédie antillaise qu'il a fallu payer par traites pendant plusieurs mois.

Un passeur-transmetteur d'un savoir patrimonial

Pour sa part, le libraire Gilles Alexandre retient la "grande intelligence éditoriale" dont a su faire preuve Émile Désormeaux avec la publication de l’Encyclopédie antillaise.

Il suffit de mesurer la liste des contributeurs rédacteurs de l'Encyclopédie antillaise pour se rendre compte qu'il avait su s'entourer des plus grands spécialistes et intellectuels des Antilles ou qui ont fait de nos pays leur objet d'études.

Illustration de cette "intelligence éditoriale" évoquée par Gilles Alexandre, ce souvenir qui s'impose à ma mémoire. C'était à la veille d'un nouvel an, le 31 décembre 1982. A l'invitation d'Émile Désormeaux, je m'étais rendu rue Blénac à Fort-de-France où résidaient le savant botaniste Henri Sthélé et son épouse Madeleine, le temps des fêtes de fin d'année, en attendant d'aller passer l'hiver sur l'île de Palma de Majorque aux Baléares. 

Me sont restés à l'esprit, la faconde et l'érudition de ce botaniste, membre du Muséum d'Histoire Naturelle, de sa passion pour la flore antillaise. Du récit de ces déambulations scientifiques à travers Fonds et Morne de Martinique, en quête de telles ou telles espèces floristiques endémiques de nos îles. Des savoirs qu'il voulait consigner et partager avec les jeunes générations à travers un ouvrage encyclopédique. Et c'est aux éditions Désormeaux qu'il avait choisi de le faire. Un projet qu'il n'a pas pu mener à terme. La mort, survenue le 19 février 1983 à Majorque, l'en ayant empêchée.

C'est peut-être à cette aune-là qu'il faut aussi considérer le rôle de passeur, de transmetteur de culture, de savoir et de  patrimoine joué par Émile Désormeaux. Gilles Alexandre en est convaincu,  "les bibliothèques de milliers de Martiniquais regorgent de trésors, de pépites mis en lumière grâce à sa maison d'édition et à sa politique éditoriale".

A cet égard, et parmi ces pépites, Lyne-Rose Beuze, conservateur de musée, garde en mémoire un texte quasi oublié publié aux éditions Désormeaux que l'on peut, peut-être, retrouver dans ces bibliothèques dont nous parlait Gilles Alexandre.

Le récit d'un moine catalan de l'ordre de Saint Jérôme, Ramón Pané, qui accompagnait Christophe Colomb lors de son second voyage sur l'île d'Hispaniola (Saint Domingue). Donc autour de 1493-1496.

"Ce prêtre avait recueilli par écrit les mythes des Indiens Taïnos et en particulier ceux relatifs à l'origine du monde".

"Antilles d'hier et d'aujourd'hui", "Dictionnaire de la langue créole", "l'Histoire des Antilles-Guyane par image", la réédition des œuvres d'Aimé Césaire, de "Fab' compè Zicaque" de Gilbert Gratiant, de "Bug Jargal" de Victor Hugo sur la révolution haïtienne et tant d'autres cités par Anny Désiré dans son texte (en fichier joint en bas de l'article) ont été publiés aux éditions Désormeaux.

On oubliera pas non plus son intérêt pour la presse écrite avec les magazines "Inter-Antilles" et "Inter-Antilles sport", "Fouyaya", "Tropic Magazine".

La disparition d'Émile Désormeaux a suscité une réelle émotion au sein du monde de l'édition et de la culture.

"Il faudrait une encyclopédie pour rééditer l'oeuvre de ce pilotin émérite monumental, écrit Alex Ferdinand, lui aussi de Rivière-Pilote sur sa page Facebook,. Une rue de notre  ville doit éterniser sa mémoire pour les générations futures, digne descendant de la famille Gros-Désormeaux qui a imprimé en lettres indélébiles l'Histoire de Rivière-Pilote, mais aussi du Vauclin et de toute la Martinique et la Caraïbe".

Les obsèques d'Émile Ernest Gros-Désormeaux seront célébrés ce vendredi 2 juin 2017 à 11:00 (heures locales) en l'église paroissiale du Lamentin.

 

Sang mêlé d'Emile Désormeaux où il revisite ses origines ancestrales
Couverture de l'ouvrage d'Emile Désormeaux "Sang Mêlé"