Présidentielle 2022 : interview exclusive d'Emmanuel Macron

Par 21/04/2022 - 21:05 • Mis à jour le 23/04/2022 - 09:15

Dans le cadre de l'édition spéciale diffusée sur notre antenne plus tôt aujourd'hui, jeudi 21 avril, le président sortant a répondu aux questions d'Aline Druelle.

    Présidentielle 2022 : interview exclusive d'Emmanuel Macron

Au second tour, Marine Le Pen est opposée au président sortant, Emmanuel Macron. A quelques heures de la fin de la campagne officielle, au quartier général de La République En Marche (LaREM), le candidat a accordé un entretien à notre correspondante à Paris, Aline Druelle. L'occasion d'échanger sur de nombreux sujets, au nombre desquels la crise sanitaire et sociale, mais aussi ses ambitions pour les Outre-mer.

L'effet pandémie

A l'approche de ce second tour, le président sortant se dit "engagé, déterminé, et concentré, avec la volonté de défendre un bilan et de porter un projet pour le pays dans sa diversité". Un point d'autant plus important qu'en Outre-mer, c'est globalement Jean-Luc Mélenchon qui a été plébiscité, en particulier aux Antilles. 

Mais Emmanuel Macron n'y voit aucun raté de sa part ou de celle de son équipe, et assure comprendre la colère des populations, en particulier dans un contexte de pandémie.

Je ne fais jamais de commentaires sur les chiffres, mais nous traversons une crise sanitaire et j'assume tout ce qui a été fait. Je comprends que ça ait pu donner lieu à des incompréhensions, des colères. Lorsque l'on gouverne, on doit prendre ses responsabilités. On mène par ailleurs aussi des actions qui ne sont pas tout le temps relayées. Sur les sargasses, le chlordécone, j'ai eu une politique historique pour les Antilles. On ne peut simplement pas être démagogue et promettre n'importe quoi.

Il demeure que l'obligation vaccinale a fortement pesé dans ce premier tour, et beaucoup de ceux qui s'y sont opposés ont eu le sentiment d'être méprisés. Mais là encore, le président sortant défend ses choix et son bilan.

Tout d'abord, je veux avoir une parole d'affection et de compassion pour tous ceux qui ont perdu des proches. Je veux aussi adresser un immense merci aussi à tous les soignants et à ceux qui les ont accompagnés. Il faut quand même mesurer à quel point la solidarité a été exceptionnelle, avec des évacuations sanitaires historiques, des miracles technologiques et humains, la mobilisation de l'armée, des vaccins fournis en temps et en heure dont les premiers sont d'ailleurs allés en Outre-mer. Le  ministre des Outre-mer a été engagé nuit et jour pendant toute cette crise. A chaque conseil de défense, les Antilles étaient évoquées. Tout ça en plus des investissements réalisés en matière de santé durant ce quinquennat.

C'était notre responsabilité de demander aux soignants de se faire vacciner sur la base d'avis scientifiques, du conseil national d'éthique et des ordres médicaux. Parce que lorsque l'on soigne, on est là pour protéger. Alors ça n'a pas été populaire, il y a eu des craintes, mais ça ne doit rien enlever à l'extraordinaire solidarité nationale et aux politiques exceptionnelles conduites dans la période.

A la rumeur qui circule depuis quelques jours sur une possible réintégration des soignants suspendus, Emmanuel Macron se montre optimiste mais ferme :

Il y a un accompagnement social qui est fait à l'égard de tous ceux qui ont été suspendus. Et dès que l'on quittera la phase aigue de cette pandémie, mon souhait est que l'on puisse revenir à la normale, partout sur le territoire français, pas seulement en Outre-mer. Il y aura peut-être des contraintes de tests, mais on pourra ouvrir cette voie. Le faire aujourd'hui serait prématuré en revanche, il y a encore beaucoup de cas et ce ne serait pas respectueux vis-à-vis des soignants qui ont fait l'effort de se vacciner.

Le président sortant assume donc pleinement la méthode appliquée dans les territoires d'outremer, malgré les mouvements sociaux survenus fin 2021 qui ont réveillé pour beaucoup le spectre de 2009. On a en effet lourdement reproché au gouvernement d'avoir envoyé le RAID et le GIGN, notamment en Guadeloupe.

Il faut quand même distinguer ces mouvements de la crise de 2009. Il y avait une fatigue et une anxiété dues à la pandémie que je comprends. Mais on ne peut pas dialoguer quand il y a de la violence, et nos compatriotes de Guadeloupe comme de Martinique sont aussi attachés à l'ordre public. Nous avons donc simplement envoyé des forces pour rétablir l'ordre, condition sine qua non pour un dialogue apaisé. Sinon on laisse la force à la rue, et moi je préfère la force républicaine.

Une crise d'abord économique

Le président sortant assure néanmoins comprendre l'inquiétude et la colère de la jeunesse.

Si j'ai un regret, c'est justement de ne pas avoir réussi, justement à cause des crises, à aller assez vite sur la vie chère, l'emploi des jeunes, les problèmes sociaux. Car c'est ça la vraie réponse à la situation que nous connaissons. On a tout de même développé des filières de formation et baissé le chômage aux Antilles comme aucun quinquennat avant nous. Et je veux continuer à faire mieux dans les années qui viennent.

En 2017, le programme du candidat Emmanuel Macron précisait vouloir "libérer le potentiel des territoires". Et là encore, même s'il reconnaît qu'il y a encore du chemin à parcourir, le président sortant est fier de son bilan.

On a baissé de 4 à 5 points le chômage aux Antilles, en Martinique notamment. Il faut accentuer nos efforts sur la souveraineté alimentaire et énergétique, qui fait système avec la vie chère, continuer à créer des filières économiques qui correspondent aux besoins de la population et permettront de baisser les prix comme de créer des emplois. Ça veut dire avoir une politique fiscale volontariste, notamment en termes d'investissement. Ça veut aussi parfois dire lutter contre des monopoles qui se sont installés et des spécialisations économiques qui créent une culture de l'importation intenable.

Au sujet de cette culture de l'importation, le gouvernement d'Emmanuel Macron désigne depuis plusieurs années l'horizon 2030 pour l'atteinte de l'autonomie alimentaire sur nos territoires.

Bien sûr, c'est compliqué, ça demande de revenir sur des habitudes prises et des intérêts acquis. C'est pourquoi une des priorités est ce travail sur les filières économiques et la lutte contre la vie chère. Concrètement, ça implique de baisser les prix en produisant localement, mais aussi de créer plus d'emplois pour avoir des revenus. C'est un objectif dont je veux tenir régulièrement compte des travaux dans les territoires ultramarins.

Quant à la fameuse réforme de l'octroi de mer, cette arlésienne des débats sur les finances locales, le président sortant garantit qu'il est fin prêt à s'y atteler : 

En particulier pour les produits de première nécessité, mais avec un esprit de responsabilité. Ça fera baisser les prix parce qu'on compensera auprès des collectivités locales. Une différence majeure avec Marine Le Pen sur ce point est qu'elle veut complètement abolir cette taxe et la compenser à hauteur de 300 millions d'euros auprès des collectivités territoriales, alors que ces revenus s'élèvent en réalité à 900 millions d'euros. Il y aura donc bien un problème quelque part. 

Mais pour redresser l'économie de nos territoires, le président insiste : il faut créer plus d'emplois.

Une fois encore, il s'agit de développer des filières locales : en géothermie, en biomasse, dans la production agricole, en développant les filières numériques, le tourisme ... Soit créer de l'énergie et des aliments qui permettront de baisser les prix et la dépendance à l'extérieur. Ça implique évidemment des investissements de la nation, après consultation de toutes les forces sociales, économiques et politiques. Mais ça suppose aussi que là où on est parfois dans la monoculture ou l'hyperspécialisation, voire une forme de système de rente, il faut bousculer les intérêts des uns et des autres.

Le chlordécone, autre sujet brûlant de ce quinquennat

Reste un point essentiel dans le débat public aux Antilles : le chlordécone. En Martinique, en septembre 2018, Emmanuel Macron a parlé de "scandale environnemental" et affirmé que l'état devait "prendre ses responsabilités"

J'ai été le 1er Président de la République à reconnaître ce qui s'était passé, la gravité et le chemin de réparation nécessaire. Le plan chlordécone 4 que nous avons mis en place a d'ailleurs permis d'avancer sur le chemin de la réparation avec une dotation record de près de 100 millions d'euros, soit autant que les trois précédents plans réunis. Les cancers de la prostate liés à cette exposition sont désormais reconnus comme maladie professionnelle, ce qui permet aux agriculteurs d'accéder au fonds créé en 2020 pour indemniser les personnes atteintes de maladies liées aux pesticides. Le dépistage du taux de chlordécone dans le sang a été rendu gratuit pour toute la population antillaise, avec une priorité pour les personnes habitant dans des zones très exposées et pour les femmes enceintes. On va continuer d'indemniser, d'accompagner, d'aider aussi à la reconversion des sols, très important pour les agriculteurs qui ont déjà fait un travail remarquable.

Il y a par ailleurs un point très attendu concernant cette affaire du chlordécone, c'est la procédure judiciaire. Si à titre institutionnel, Emmanuel Macron ne peut pas la commenter en tant que garant de l'indépendance de la justice, à titre personnel, il tient à exprimer sa solidarité avec les victimes.

Je suis favorable à ce que les parties civiles puissent faire usage de toutes les voies de recours possible, car il faut réparer et aller au bout de toutes les responsabilités. Nos compatriotes veulent la vérité.

Au terme de cet entretien, le président sortant précise qu'il y a encore beaucoup d'autres sujets qu'il aurait aimé évoquer :

Les sargasses, "qui lui tiennent beaucoup à cœur", l'eau en Guadeloupe où il s'est "beaucoup engagé et a réparé 4 000 fuites sur l'année 2020".

Je veux assurer à tous les compatriotes qui nous écoutent mon attachement et mon affection. J'ai pris des engagements et on a essayé de les tenir malgré les crises et les aléas. Il y a près de cinq ans, j'étais à vos côtés après l'ouragan Irma, et je serai, je l'espère, à vos côtés par beau temps, et encore plus par coups durs.


Écoutez cet entretien dans son intégralité ci-après :

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