Arrestation du 16 juillet : la version de Keziah

Par 19/07/2020 - 12:18 • Mis à jour le 20/07/2020 - 14:48

L'interpellation musclée du jeune Keziah a déjà généré des milliers de commentaires et de réactions. L'étudiant a raconté sa version des faits hier à la sortie du tribunal après sa mise en examen pour violences sur personne dépositaire de l'autorité.

    Arrestation du 16 juillet : la version de Keziah

Assis sur une chaise pliante, légèrement à l'ombre derrière le tribunal, le jeune Keziah vient de retrouver sa famille après 36 heures de garde à vue, ce samedi en fin de matinée (18 juillet 2020). 

Le jeune homme de 22 ans a été interpellé jeudi après-midi à la rue Victor Sévère alors qu'il participait à la manifestation de soutien à deux jeunes activistes arrêtés tôt ce matin là(un troisième s'est rendu de lui même au poste de police avec son avocat dans l'après-midi).

Plusieurs vidéos qui ont circulé sur les réseaux sociaux depuis son interpellation permettent de se faire une idée des circonstances de celle-ci. L'arrestation de Keziah intervient lors d'une charge des gendarmes mobiles pour dégager la rue d'accès au commissariat central de Fort-de-France. Les militaires, tout en repoussant les manifestants, évacuent également les tambours qui entravent leur progression puis leur repli. C'est à ce moment que la mère de Keziah qui faisait partie du groupe de manifestants, tente de récupérer l'instrument traditionnel et empreint d'une grande symbolique dans l'histoire de la Martinique. "Je me suis faufilé entre les gendarmes pour récupérer le tambour. Le gendarme qui avait le tambour est tombé tout seul sur ma mère", raconte l'étudiant. Une partie de sa version qui semble être corroborée par des images que nous avons pu consulter.

Voyant sa mère tomber à la renverse avec un tambour et un gendarme sur le corps, le jeune homme se précipite à sa rescousse. Il est alors intercepté par les gardes mobiles qui font usage de leur matraque sans que l'on puisse déterminer avec certitude que c'est un coup de cette arme qui a provoqué la blessure à la tête de Keziah.

Maîtrisé ensuite au sol par au moins quatre gendarmes dont l'un se trouvant à califourchon sur lui, l'étudiant commence à saigner abondamment de la tête. Les traces de sang étaient toujours visibles hier à l'endroit où s'est déroulée cette séquence. Il est menotté puis soulevé par les gendarmes et un policier derrière les barrières vauban.

Sur une vidéo captée depuis l'immeuble Plein Ciel qui se situe à l'aplomb de la rue Victor Sévère, on peut entendre Keziah hurler de douleur. Son crâne continue de saigner. On entend alors distinctement une voix venant des hommes rassemblés autour de Keziah l'insulter "T'es un enculé, t'es qu'une merde, fils de pute". Un gendarme revenant du point de contact avec les manifestants se précipite alors vers lui et lui porte la main au visage avant de lui hurler dessus "Regarde moi bien, regarde mon visage. Je t'ai pas touché". Le reste de l'échange est quasiment inaudible.

 

Sur ce point Keziah comme sa famille avant lui parle d'insultes racistes de la part de forces de l'ordre. "Ils m'ont dit que j'allais payer, ils m'ont dit : "Sale négro", que j'étais baisé", précise-t-il dans une vidéo diffusée par le Komité 13 janvier.

Alors qu'un gendarme nettoie le sang du jeune homme qui a coulé au sol, Keziah est ensuite transféré dans l'enceinte du commissariat de la rue Victor Sévère où il est informé de son placement en garde à vue à 17 h 50. Dès lors et au vue des images qui circulent sur les réseaux sociaux, l'inquiétude grandit dans les rangs de ses proches. Certains allant même jusqu'à évoquer un traumatisme crânien et des côtes cassées chez le jeune homme. Dans sa version, il raconte avoir été frappé. "Ils m'ont donné des coups à la tête, au dos, sur les bras, ils m'ont piétiné mes parties intimes, un des gendarmes qui a enfoncé son pouce dans son oeil alors que j'étais menotté. Je pleurais du sang", assure Keziah qui présente un hématome foncé sur le bras droit et un oeil fortement gonflé et rougi. Le procureur de la République parle lui d'une arrestation difficile.

L'étudiant est en tout cas mal en point, puisque dans la soirée, il est évacué en ambulance vers le CHU de la Martinique. On peut le voir avec la tête enroulée d'un large bandage et l'air hagard lorsqu'il est transporté à l'hôpital. Il sera examiné par des médecins sous la surveillance des policiers. Gardé en observation, Keziah est finalement ramené au commissariat en pleine nuit vers 3 heures du matin.

"Je suis retourné à la Meynard hier (vendredi 17 juillet, 24 heures après son interpellation). Je ne me sentais pas bien, j'avais des pertes de connaissance, j'avais des douleurs extrêmes. Les conditions en garde à vue ne sont pas propices à un rétablissement, à un moment je dormais à terre", raconte le jeune homme. L'étudiant assure qu'il a dû insister pour avoir d'autres soins. Lors de son deuxième passage à l'hôpital, il passe un autre scanner qui ne montre pas de traumatisme crânien selon nos informations. Il lui sera néanmoins prescrit deux jours d'interruption temporaire de travail.

C'est finalement samedi matin que Keziah est présenté au procureur de la République au palais de Justice de Fort-de-France. Il est mis en examen et placé sous contrôle judiciaire pour violences envers personnes de dépositaires de l'autorité publique.

Les gendarmes accusent Keziah de les avoir frappés très violemment. Une version qui justifie la mesure de garde à vue selon Renaud Gaudeul. Des accusations dont Keziah se défend. "Si j'avais donné 5 violent coups de poing aux gendarmes j'aurais eu des hématomes sur les doigts", dit-il en montrant ses mains en bon état.

Le jeune homme sera en tout cas jugé le 27 août prochain par le tribunal correctionnel de Fort-de-France. Lors d'un rassemblement de soutien organisé hier à la maison des syndicats, sa famille a réitéré sa volonté de porter plainte contre les forces de l'ordre, le procureur, le préfet et les médecins qui ont examiné Keziah. Le jeune devrait en dire plus sur son état de santé lundi soir à la maison des syndicats où une manifestation de soutien est organisée à partir de 18 heures.

Cette interpellation a relancé le débat sur les violences policières. Certains voyant dans l'arrestation de l'étudiant un écho à l'affaire Georges Floyd qui a remis sur le devant la scène les brutalités policières à travers une vague mondiale d'indignation.

L'affaire Keziah s'inscrit également dans un contexte tendu en Martinique entre les activistes réclamant le justice dans le dossier du chlordécone et la réparation des méfaits du colonialisme et les forces de l'ordre. En témoigne, les deux nuits de tension à Fort-de-France au cours desquelles les statues de Joséphine de Beauharnais et de Pierre Belain d'Esnambuc ont été incendiées.

Des incidents et une interpellation qui ont fait réagir certains politiques, notamment le maire de Fort-de-France qui a rencontré la mère de Keziah vendredi, le PPM, le conseiller exécutif Francis Carole et le Palima ou encore le député Jean-Philippe Nilor et et le maire du Prêcheur, Marcelin Nadeau de Peyi-a qui ont été les premiers à écrire au préfet pour lui demander de faire la lumière sur cette arrestation.

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