Il y a 150 ans, débutait l'insurrection du sud de la Martinique

Par 22/09/2020 - 09:28 • Mis à jour le 22/09/2020 - 11:29

Au moment où tombe le Second Empire et se lève la Troisième République en France, en Martinique rugit l’insurrection du Sud. Il y a 150 ans, Lumina Sophie, Louis Telgard et Eugène Lacaille menaient la révolte contre l'injustice, le racisme institutionnalisé et la mainmise des grands propriétaires blancs sur les terres agricoles.

    Il y a 150 ans, débutait l'insurrection du sud de la Martinique

Ce 22 septembre 2020 marque le 150e anniversaire du début de l'insurrection du Sud de la Martinique. Durant 5 jours, du 22 au 26 septembre 1870 un groupe de 600 personnes, composé de petits paysans, d'ouvriers agricoles, d'artisans, tous noirs ou gens de couleur libres.

Ces événements interviennent 22 ans après l'abolition de l'esclavage dans une île où nombreux sont les anciens propriétaires nostalgiques de cette époque. Une île où règne le racisme institutionnalisé et une justice clairement à deux vitesses.

C'est d'ailleurs d'une affaire de justice que part la révolte. En février 1870, Léopold Lubin, un jeune noir du Marin, cultivateur et entrepreneur en BTP, se rend sur le chantier du canal de la sucrerie du Marin où travaille son père.

Sur la route impériale, il croise deux hommes blancs dont Augier de Maintenon  qui exige de lui qu’il écarte son cheval et le salue. Mais devant l’impassibilité du jeune noir, il le désarçonne et le cravache. Lubin demande justice qui ne lui sera jamais rendue. En avril, il se fait justice lui même en cravachant Augier de Maintenon sur le chemin de la messe. Il est arrêté puis condamné à 5 ans de bagne en août de la même année.

Parmi les assesseurs qui prononcent cette condamnation, Cléo Codé, un propriétaire terrien de Rivière-Pilote. Celui-ci déclare ouvertement vouloir faire un exemple d’un nègre ayant osé lever la main sur un blanc. Augier de Maintenon lui-même n’est autre que le beau frère d’un des magistrats.

Le verdict montre alors clairement la partialité du tribunal. Chacun se souvient par ailleurs de ce drapeau blanc qui flotte depuis le 21 janvier 1870 sur l’Habitation Codé, à Rivière Pilote, et dont le gouverneur dira plus tard, qu’il fut une véritable provocation. Manifestation d’un parti pris royaliste, il reste surtout pour la population noire, le symbole de l’esclavage.

Si l'affaire Lubin sert de carburant aux insurgés, la trame de fond historique - défaite du second empire et proclamation de la République en septembre 1870- sert d'étincelle. Par ailleurs, les choix professionnels et les déplacements pour des anciens esclaves noirs étaient limités par le livret et le passeport intérieur .

Le 22 septembre, la population du bourg de Rivière Pilote accueille la proclamation de la République par le maire avec des « Vive la République » mais aussi « Libérez Lubin » et « Mort à Codé». La colère enfle, la foule s’attroupe le soir et réclame également le désarmement des blancs. Louis Telga est présent et très actif. L’agitation se poursuivant dans la soirée, la foule se rend sur l’habitation Codé. Un serviteur noir, qui tente de s’interposer , est tué et l’habitation, incendiée. En revenant vers le bourg, le groupe se retrouve face à une troupe de 11 soldats appelée par le Maire. Il y a deux morts et deux blessés du côté des insurgés, très faiblement armés.

 

Sur le Morne Honoré, un point stratégique dominant tout le sud, à l’Habitation du quartier la Régale, à Rivière Pilote, Eugène Lacaille organise un camp de 600 insurgés d’où il mène des opérations nocturnes. Au son de la conque de lambi, l’incendie devient le moyen pour les insurgés d’éviter la troupe, beaucoup mieux équipée et armée.

Dans la nuit du 24, Madeleine Clem repère Cléo Codé dans un champ de cannes du sommet du Morne-Vert ,quartier de Rivière-Pilote au lieu dit la « Croix de Codé ». Le propriétaire qui s'était vanté d'avoir fait condamner Lubin est tué et mutilé.

 

Dans le même temps, près de 25 habitations sont incendiées. Les femmes, dont Lumina Sophie dite Surprise, jouent un rôle important dans ces actions. Âgée de 19 ans, cette couturière enceinte va d'habitation en habitation pour convaincre voir contraindre les engagés de suivre les insurgés. Équipée d'une torche, elle est réputée pour sa volonté de réduire en cendres les propriétés. Figure emblématique de l'insurrection et du rôle des femmes dans cette révolte, elle sera condamnée au bagne et mourra en captivité.

Le 26 septembre 1870, la répression débute. Des marins, des gendarmes et une milice de volontaires composée de blanc, de libres de couleurs et de noirs vivants principalement dans les villes affrontent les révoltés.

Les pertes sont lourdes pour les insurgés avec 18 tués et blessés contre un seul mort parmi les volontaires. A l’aube du 26 septembre, à 6 heures du matin, commence l’attaque du camp de Régale par une vingtaine de gendarmes. Les insurgés sont rapidement neutralisés. Louis Telgard s’enfuit vers Sainte-Lucie. La « chasse à l’homme » qui s’ensuit fait plus de 500 prisonniers. Les deux tiers sont des ouvriers agricoles, des journaliers et près de 114 femmes sont inculpées.

L'insurrection prend définitivement fin le 28 septembre 1870. En avril et mai 1871, 75 condamnations sont prononcées et en décembre 1871, les chefs de l’insurrection sont fusillés au polygone de Desclieux : Eugène Lacaille qui a tenté de s’évader du fort Desaix, Furcis Carbonnel, Luis Gertrude Isidore, Cyrille Niconor, Louis Charles Hutte. 8 condamnés à mort l’ont été par contumace.

Il y a 28 condamnés aux travaux forcés à perpétuité, 2 à la déportation en enceinte fortifiée dont Villard, 8 à la déportation simple, 33 aux travaux forcés de 10 à 20 ans. En 1880, une grâce est portée sur 64 condamnés. Certains ne reviendront jamais en Martinique, tel Villard exilé en Nouvelle-Calédonie. Sur 114 inculpées, 13 femmes seulement seront condamnées dont Lumina Sophie, envoyée au bagne avec travaux forcés à perpétuité. L’âge moyen des 500 inculpés est de 25 ans, chez les femmes de 23 ans.

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