Avec « Nuit Blanche 2024 », Claire Tancons veut « porter une réflexion ultramarine sur le monde »

Par 17/01/2024 - 15:10 • Mis à jour le 17/01/2024 - 15:16

À l'initiative de la Ville de Paris, l'événement Nuit Blanche, immense rendez-vous de l'art contemporain dans la capitale, sera consacré à l'Outre-Mer les 1er et 2 juin prochains. C'est une Guadeloupéenne, Claire Tancons, curatrice reconnue dans le monde entier, qui en sera la directrice artistique. Elle a accordé un entretien à RCI.

    Avec « Nuit Blanche 2024 », Claire Tancons veut « porter une réflexion ultramarine sur le monde »
Dorval - Portrait de Claire Tancons, directrice artistique de Nuit Blanche.

Comment accueille-t-on une responsabilité comme celle-ci ? 

Claire Tancons : "On accueille une telle responsabilité en commençant par s'interroger sur la notion même d'Outre-Mer. Depuis Pointe-à-Pitre, Saint-Pierre ou Papeete, l'Outre-Mer c'est Paris. Les Outre-Terre des uns étant les Outre-Mer des autres. C'est ce que j'ai commencé à faire, à décentrer le regard. Il m'a paru important d'aborder ces cultures qui confèrent sa dimension mondialisée et mondiale à la France, depuis une posture critique, qui de fait, accompagne et prolonge les réflexions des artistes elles et eux-mêmes."

Après cette réflexion, est-ce que des lignes se tracent en vue de Nuit Blanche 2024 ?

C.T. : "Oui. Ces lignes sont de repenser Paris à l'aune des apports de ces différentes cultures. De penser la carte ultramarine de Paris. De se rendre compte qu'il y a une inscription mémorielle ultramarine importante, que ce soit le quai Aimé-Césaire, la promenade Edouard-Glissant, le square Solitude, la rue de la Guadeloupe, le marché de l'Olive, il s'agit de Liénard de l'Olive... Mes premiers pas ont été guidés par cette carte, dont je m'affranchis de plus en plus. Concrètement, les événements n'auront pas nécessairement lieu dans ces lieux, mais l'objectif a été de réflechir à l'échelle de la ville, de ce que la capitale de la France dit au monde, notamment au travers des diasporas des différents peuples sur ces trois océans. Il s'agit de désenclaver la notion de plus en plus désuète des Outre-Mer, de se reporter à l'échelle mondiale et penser la création artistique en dialogue avec le monde, plutôt qu'un face-à-face entre ce qui est de part et d'autres des océans."

Les artistes ultramarins seront donc mis à l'honneur, mais pas uniquement. Vous avez fait le choix d'inviter d'autres artistes, sur quelle base ?

C.T. : "Il s'agit de porter une réflexion ultramarine sur le monde, de penser sous l'angle de la créolité, de la créolisation, à l'avant-poste de laquelle se situent notamment les artistes de ces territoires, mais pas que... C'est plutôt un état d'esprit et une conscience historique, et la conscience qui m'habite est une conscience historique diasporique, caribéenne, et je pense que nombre des artistes qui portent ce projet sont issus d'une même pensée et d'une même réflexion sur le monde."

On a souvent parlé des barrières pour exister depuis ces territoires, quel regard portez-vous sur les artistes ultramarins ?

C.T. : "Il se trouve qu'en ce moment, il y a l'émergence d'une nouvelle génération. On pourrait considérer que le fer-de-lance est Julien Creuzet, qui est d'origine martiniquaise, qui représentera la France à la Biennale de Venise, mais il y en a nombreux autres encore qui bénéficient d'expositions monographiques, à Paris et dans le monde. De plus en plus aussi, il y a un effet de retour, les artistes veulent rentrer au ''péyi'', c'est l'expression qu'ils utiliseraient. Ils veulent ancrer leur production à partir de leur pays, et nombre d'artistes qui ont pu faire leurs études dans l'hexagone ou ailleurs, souhaitent à un moment donné, faire retour. Donc il n'est plus vrai qu'il faudrait nécessairement s'exporter pour avoir plus de visibilité. Il y a un remaniement des cartes, et bien sûr Nuit Blanche va continuer d'y contribuer pleinement."

Qu'est-ce que les Outre-Mer auront à gagner avec cette Nuit Blanche à Paris ?

C.T. : "Ce sera participer au concert du monde, ou plutôt rappeler ce en quoi le monde est ici, à Paris. A-t-on besoin des Jeux olympiques pour nous le révéler ? De toute façon à la faveur des JO, cette Nuit Blanche sera olympique, car elle est ultramarine. Ce qui affirme la dimension mondialisée et d'excellence de la France, c'est aussi beaucoup, notamment au niveau sportif et culturel, ces cultures de nos trois océans."

L'événement aura donc lieu sur plusieurs sites de la capitale du 1er au 2 juin, mais aussi à Rouen, et dans les territoires qui sont aussi invités à y participer. Qu'en attendez-vous ?

C.T. : "Nuit Blanche, historiquement, se déploie sur la douzaine d'heures, cette année entre 7h du soir le 1er juin et 7h du matin le 2 juin, mais du fait de la participation de la Polynésie, de la Nouvelle-Calédonie, de la Guadeloupe, de la Martinique... Ce sera bien plus. Mais aussi, depuis Paris même, je souhaite à ce que nous soyons pleinement en phase avec les différents pays de nos trois océans. On peut s'imaginer que certaines propositions ne seront pas nécessairement programmées sur cet éventail auquel on est habitué. Ce que je souhaite, c'est que depuis Paris, on prenne la mesure de l'amplitude de ce que peut représenter la France dans le monde, et qu'on se rende compte dans quelle mesure le centre ne peut pas tenir, ou ne peut plus tenir. Ce sera une Nuit Blanche très très longue, finalement une nuit qui ne s'arrête jamais."

Avez-vous déjà des certitudes sur la programmation ?

C.T. : "Dans quelques mois on en saura plus. Je suis pleinement en train de discuter avec différents artistes et leurs associés donc il faut attendre encore un peu."

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