Haïti : qui est « Barbecue », l'ancien policier devenu chef de gang ?

Par 07/03/2024 - 07:00

Arme automatique en bandoulière, Jimmy « Barbecue » Chérizier, qui aime se présenter comme un révolutionnaire, dirige l'un des gangs les plus puissants qui ravagent Haïti, n'hésitant pas à attaquer les infrastructures critiques et à demander la tête des élites.

    Haïti : qui est « Barbecue », l'ancien policier devenu chef de gang ?
Jimmy Chérizier, dit « Barbecue »

À 46 ans, le chef de l'alliance de gangs « la famille G9 » est l'une des figures publiques de la nouvelle escalade de violence des derniers jours dans le pays pauvre des Caraïbes dévasté par une crise sécuritaire, humanitaire et politique.

Les groupes armés haïtiens le plus souvent divisés et luttant pour étendre chacun leur territoire, ont annoncé la semaine dernière se liguer contre le gouvernement et ils mènent depuis des attaques contre des sites stratégiques, aéroport, académie de police ou prisons d'où des milliers de détenus ont pu s'échapper.

« Il n'est pas question qu'un petit groupe de riches vivant dans de grands hôtels décide du sort des habitants des quartiers populaires », a clamé Jimmy Chérizier mardi devant la presse, entouré d'hommes cagoulés. 

« Nous devons nous unir. Soit Haïti devient un paradis pour nous tous, soit un enfer pour nous tous », a-t-il ajouté, menaçant d'une « guerre civile » si le Premier ministre Ariel Henry ne démissionne pas.

Ce n'est pas la première fois que l'ancien policier fait parler de lui.

En 2022, à la tête de l'alliance G9, il avait bloqué pendant des mois le principal terminal pétrolier du pays, paralysant la distribution de carburants et plongeant Haïti un peu plus dans le chaos.

Cet épisode avait enclenché les appels à l'envoi d'une force multinationale pour aider la police haïtienne dépassée -- mission toujours en attente.

« Corps brûlés, démembrés »

Et signe de son influence, Jimmy Chérizier avait été le premier à être inscrit en octobre 2022 sur le tout nouveau régime de sanctions de l'ONU contre les bandes armées haïtiennes (interdiction de voyage, gel des avoirs, embargo ciblé sur les armes).

Mais malgré tout, « Barbecue continue de commettre des actes qui menacent la paix, la sécurité et la stabilité d'Haïti », commentait en septembre dernier le comité d'experts de l'ONU chargé de surveiller les sanctions. 

À LIRE AUSSI « Les blessés sont des civils touchés par des balles perdues »

Leur rapport détaille les activités criminelles du caléidoscope de gangs qui contrôlent des pans entiers du pays, en particulier la capitale.

Pour le G9 et ses plus de 1.000 hommes, principalement anciens policiers, anciens agents de sécurité et enfants des rues, la liste est longue: meurtres, vols, extorsion, viols, assassinats ciblés, trafic de drogue, enlèvements, incendies...

Ces experts évoquent également l'implication de « Barbecue » dans le « massacre de la Saline » survenu en 2018 dans ce bidonville de la capitale. 

71 morts en 2018, dans le « massacre de la Saline »

« Alors qu'il était officier de la police nationale haïtienne, Jimmy Chérizier a planifié et participé aux attaques de la Saline », a également assuré le département du Trésor américain en le plaçant sous sanctions fin 2020.

Lors de ces événements qui ont fait 71 morts en quelques jours, les gangs, parfois utilisés par les autorités pour faire taire les revendications des quartiers populaires, « ont sorti des victimes, y compris des enfants, de leurs maisons pour les exécuter et les trainer dans la rue où leurs corps ont été brûlés, démembrés, et donnés à manger aux animaux », écrivait-il alors, évoquant le soutien apporté à Chérizier par deux hauts responsables de l'administration de l'ancien président haïtien Jovenel Moïse, assassiné en 2021.

Mais le chef de gang, qui poste régulièrement sur les réseaux sociaux des vidéos, arme automatique en bandoulière, rejette les accusations portées contre lui. 

« Je ne suis pas un gangster, je ne serai jamais un gangster », affirmait-il en 2021 dans une interview à la chaîne Al Jazeera, assurant se battre « pour une autre société ».


CHRONOLOGIE

Instabilité politique en Haïti depuis près de 40 ans

  • La chute de Duvalier 

En 1986, le dictateur Jean-Claude Duvalier est chassé par un soulèvement populaire, l'armée prend le pouvoir. "Baby Doc" était devenu président à vie en 1971 après la mort de son père François Duvalier, dit "Papa Doc", arrivé au pouvoir en 1957 lors d'élections truquées. Il s'exile.

  • Les mandats inachevés d'Aristide 

Le 30 septembre 1991, le prêtre Jean-Bertrand Aristide, élu président en 1990, est renversé par un coup d’État militaire et s'exile. Il est rétabli au pouvoir par une intervention militaire américaine en 1994. René Préval lui succède en 1996.

Réélu en 2000, Jean-Bertrand Aristide quitte à nouveau le pouvoir en 2004, sous pression des Etats-Unis, de la France et du Canada, d'une insurrection armée et d'une révolte populaire. Il s'exile. 

Pendant deux ans, le pays est sous le contrôle de l'ONU qui y déploie une force internationale. En 2006, René Préval est à nouveau élu président. C'est le seul dirigeant haïtien à avoir achevé les deux mandats autorisés par la Constitution. 

  • Martelly sans successeur 

Michel Martelly, élu en 2011, finit son mandat en 2016 sans successeur, après l'annulation de la présidentielle de 2015. Le Parlement désigne un président provisoire.

Après une longue crise électorale, l'homme d'affaires Jovenel Moïse est élu fin 2016.

  • Moïse assassiné

Jovenel Moïse est rapidement confronté à une intensification des activités des gangs armés.

Après l'expiration, début 2020, du mandat des députés sans nouvelles élections, le président gouverne par décret. 

Le 7 février 2021, le pouvoir judiciaire décrète la fin du mandat présidentiel. Jovenel Moïse estime, lui, qu'il lui reste un an au pouvoir. Le même jour, il assure avoir échappé à une tentative d'assassinat.

Jovenel Moïse sera assassiné le 7 juillet, chez lui, par un commando. Les affaires courantes sont gérées par le Premier ministre Ariel Henry, nommé peu avant l'assassinat du président.

  •  Impasse politique -

Le 27 septembre, les élections prévues entre novembre et janvier sont reportées sine die.

En plein vide juridique, Ariel Henry se maintient au pouvoir au-delà du 7 février 2022, qui devait marquer la fin du mandat du président Moïse. Même scénario le 7 février 2024, jour où le Premier ministre aurait dû quitter le pouvoir en vertu d'un accord politique.

  • Menace de « guerre civile »

Le 28 février, Ariel Henry accepte de "partager le pouvoir" avec l'opposition, dans le cadre d'un accord prévoyant des élections d'ici un an, alors qu'aucun scrutin n'a eu lieu depuis 2016.

Mardi 5 mars, Jimmy Chérizier, influent chef de gang surnommé « "Barbecue », menace  d'une « guerre civile qui conduira à un génocide » si Ariel Henry reste au pouvoir.

Cette déclaration intervient peu après la signature d'un accord entre le Kenya et Haïti, prévoyant l'envoi de policiers kenyans pour lutter contre les gangs - qui contrôlent une grande partie de la capitale Port-au-Prince et les routes menant au reste du territoire -, dans le cadre d'une mission internationale soutenue par l'ONU.

Tags